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Interview Fréderic Lenoir – Et si on passait à l’optimisme ?
Est-il raisonnable d’être optimiste dans le contexte actuel ? Chez Amaelles, nous le croyons. Fermement mais sans naïveté.
Pour nous guider sur ce chemin, Frédéric Lenoir, philosophe, sociologue, écrivain français a accepté d’accompagner nos premiers pas vers un état d’esprit durablement positif.
Entretien sans fard et sans langue bois, préparé avec nos équipes de professionnels du soin de Nîmes, Alençon et Mulhouse.
A vous entendre, on se dit que l’optimisme serait finalement un muscle à travailler. Est-ce le cas ?
Oui ! On peut tout à fait dire cela et on peut dire cela de tout ! Aristote nous apprend d’ailleurs dans l’éthique à Nicomaque que les vertus et les vices sont des muscles que nous cultivons. C’est à dire qu’en pratiquant quotidiennement des petits actes de courage, je vais devenir très courageux et en pratiquant quotidiennement des petits actes de lâcheté, je vais devenir très lâche.
On peut donc dire que tout ce qu’on fait nous transforme et que progressivement, à force de poser des actes d’optimisme dans nos vies, nous devenons résolument optimiste. A l’inverse, en posant régulièrement des actes pessimistes, on devient résolument pessimiste.
Et avez-vous des clés pour muscler notre optimisme au quotidien ?
Bien sûr ! On peut le muscler de trois manières : la volonté, le discernement et le désir.
La volonté c’est effectivement le fait de s’adonner à certaines activités ou d’avoir une vigilance, se tenir à certaines résolutions etc… Tout cela demande de la volonté ! Mais avant tout, il faut du discernement. Par exemple, pendant la période la plus dure du Covid, certaines personnes regardaient BFMTV toute la journée et du coup, étaient chaque jour plus anxieuses à la vue du nombre de morts en augmentation.
Face à cette même situation, d’autres personnes ont préféré cultiver leur jardin, lire des bons bouquins positifs… Et donc cultiver des émotions positives. C’est tout cela le discernement : comment j’oriente ma vie ? Quels choix je fais pour cultiver les choses positives ? A savoir l’optimisme, les émotions positives, la joie plutôt que l’anxiété, la colère ou encore la tristesse. Le discernement est donc la base de tout ! C’est l’intelligence qui nous permet de faire les bons choix, de s’orienter vers les bonnes activités, de choisir les bons interlocuteurs etc…
La volonté c’est ensuite de le faire ! De mettre en actes certaines choses avec rigueur et vigilance.
Et pour finir : le désir. Le désir est le moteur de nos existences ! L’intelligence et la volonté ne servent pas à grand-chose si nous n’avons pas de motivation. Le désir c’est donc avoir et cultiver la motivation de grandir, de s’améliorer, d’être plus optimiste. Il s’agit bien d’une question de motivation. Sans motivation, l’être humain ne fait rien ! La volonté ne fonctionne pas si nous ne sommes pas motivés. On le voit notamment très bien avec les enfants : s’ils ne sont pas motivés alors ils n’arrivent rien à faire. Ais-je le désir de grandir en optimisme ? Ais-je le désir de m’améliorer ? Puis, je discerne ce qu’il faut pour cela et par ma volonté, je le mets en œuvre.
Il s’agit de petits actes du quotidien. N’attendons pas d’être capable de faire des choses héroïques !
Il s‘agit de choses du type : combien de temps je passe à faire faire des activités positives ? à voir mes proches ? A faire des choses qui me font du bien ? A faire des choses qui me mettent dans l’anxiété ? Qu’est-ce que je mets comme engagement dans ma vie ? Car on s’aperçoit qu’en s’engageant au service des autres, en ayant un impact positif sur les autres, on grandit dans l’optimisme !
Ce sont des petites choses du quotidien et n’attendons surtout pas de faire de très grandes choses car sinon on ne fait jamais rien !
Vous dites également que l’une des vertus pour être heureux dans ce monde c’est la souplesse ou la flexibilité . Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
C’est le grand thème des philosophes Taoïstes, ce sont des grands philosophes Chinois qui nous disent « comme la vie est totalement imprévisible et pleine d’incertitudes, si on veut être heureux, alors il faut accepter cette imprévisibilité et pour ça il faut être souple et flexible ».
Il faut savoir s’adapter à des changements imprévus, si on est rigide dans ses habitudes, dans ses modes de vie, dans ses pensées, alors on va être déstabilisé par quelque chose qu’on n’a absolument pas imaginé. C’est pour cela que la crise du Covid ébranle beaucoup de gens.
Beaucoup de gens sont déstabilisés car cette crise les fait sortir de leur zone de confort, de leurs habitudes. Cet état d’esprit, c’est donc simplement d’être prêt à être surpris sans arrêt par la vie.
Ainsi, une surprise n’en est plus une, on se dit que c’est normal que la vie nous surprenne car la vie est par nature imprévisible, la vie est un mouvement permanent. Il faut ainsi savoir par notre esprit, accompagner le mouvement permanent de la vie.
Vous parlez souvent de chemin pour atteindre un certain niveau de sagesse et donc de joie intérieure. Vous dites d’ailleurs que vous-mêmes, vous avez mis 30 ans pour atteindre cette paix intérieure…Quels conseils pour faire nos premiers pas sur ce chemin ?
Je vais sûrement me répéter mais la clé réside dans le fait d’avoir de la motivation, du discernement et le désir d’être heureux, d’être serein. Il faut se dire : « j’ai vraiment envie de ça ! ».
Mais vous savez, ce n’est pas le cas de tout le monde. J’ai par exemple des amis avec qui je parle de l’illusion qu’on peut avoir dans la passion amoureuse et d’à quel point cela fait souffrir et qui me répondent : « moi je préfère souffrir, être dans l’illusion parce que l’illusion me met dans des états extraordinaires quitte à ce que je souffre terriblement après ».
Et c’est donc pour cela qu’il faut une vraie motivation si on veut être heureux c’est à dire dans un état de de pleine satisfaction ou de grande satisfaction globale et durable de l’existence. Il faut bien le vouloir. Il y a des gens qui préfèrent ne pas forcément être dans un état de stabilité émotionnelle mais qui préfèrent vivre des émotions très intenses quitte à souffrir et du coup, être dans des colères, des tristesses ou encore des peurs. C’est donc un choix. Je dirais que le bonheur est un choix, la sérénité est un choix et qu’il faut simplement être très motivé.
En ce qui me concerne, j’étais par exemple angoissé, j’avais des difficultés, des problèmes personnels assez lourds et j’avais donc un grand manque de confiance en moi. Je ne voulais plus être comme ça et j’ai fait 15 ans de thérapie pour changer. Cette thérapie a été très difficile car il fallait traverser des souffrances, des difficultés et cette sérénité est venue avec le temps.
J’ai été très motivé pour être serein, joyeux, en paix avec moi-même et avec les autres donc cela a représenté une priorité dans ma vie. Une fois que j’ai eu cette motivation en moi, j’ai ensuite discerné les moyens qu’il fallait pour y arriver. Cela s’est matérialisé à la fois par de la thérapie pour moi mais également des lectures, une réflexion philosophique ainsi que des pratiques spirituelles. Une fois ces moyens mis en place dans ma vie, c’est la volonté de persévérer et de ne pas laisser tomber à la moindre difficulté qui m’a permis d’avancer, on en revient donc toujours au même tryptique : la volonté, le discernement et le désir.
Ca vous arrive de retomber ?
Bien sûr que ça m’arrive ! Cela reste cependant très ponctuel et ne dure pas longtemps. Il peut arriver que de temps en temps je sois troublé par une très mauvaise nouvelle, que quelque chose me déstabilise.
Alors pendant 3 minutes ou 2 heures, je ne suis pas bien. Et puis, je trouve la solution, je règle le point et je puise dans mon fond de stabilité émotionnelle et de confiance pour résoudre la difficulté à laquelle je suis confronté. Je résous d’ailleurs beaucoup plus facilement les problèmes qu’avant où j’avais tendance à m’enliser dedans.
Par exemple, la première fois que j’ai reçu une critique très violente d’un de mes livres, je n’en ai pas dormi pendant 3 jours et 3 nuits. Aujourd’hui ça me perturbe 5 minutes et je reprends le contrôle. Vous voyez, elle se situe ici la différence.
Il existe des écoles, notamment dans les pays nordiques et en Inde, qui forment les enfants au bonheur… Comment, en tant que parents ou professionnels de la petite enfance, pouvons-nous accompagner les enfants sur ce chemin ?
Malheureusement dans l’éducation et notamment à l’école, on ne tient pas compte du tout de ça. C’est à dire qu’on donne des connaissances qui sont utiles dans la vie sociale, professionnelle etc. Mais on n’apprend pas à vivre. Or ce dont les enfants ont aussi besoin, c’est d’acquérir des compétences qu’on appelle « psycho émotionnelles » ou « psycho sociales » qui leur permettent d’apprendre à se connaître, à reconnaître leurs émotions, à les identifier, à savoir comment évoluer et bien sûr à faire avec la gestion de leurs émotions.
Une notion importante est par exemple de savoir comment être en relation harmonieuse avec les autres mais ça, ce n’est aujourd’hui pas enseigné. Cependant, vous savez qu’un dessin animé comme « Vice-Versa » a permis à plein d’enfants de comprendre leur fonctionnement émotionnel et de se dire « J’ai un petit personnage en moi qui est la colère, un autre qui est la tristesse, un autre qui est la joie etc…».
Je dirais donc qu’il y a plein de manières ludiques à travers des dessins animés, des bandes dessinées ou encore des jeux d’aider les enfants à comprendre leur monde émotionnel. C’est très important car ils sont confrontés très tôt aux émotions et ils doivent patauger dedans… On voit par exemple les enfants qui font des colères et qui n’arrivent pas en sortir, il faut leur expliquer ce qu’est une émotion, comment ça arrive et comment est-ce qu’on peut prendre de la distance par rapport à celles-ci.
Après le ludique, il existe également des méthodes. Je fais par exemple de la méditation pleine conscience avec les enfants. Ainsi, lorsqu’ils vivent une émotion très forte, ils vont méditer. Ils prennent du recul et de nombreux enfants m’ont dit : « maintenant que j’ai appris ça, quand je suis en colère et que j’ai envie de casser la figure à mon petit frère, je vais méditer dans ma chambre et ensuite je n’ai plus envie. » Comme vous le voyez, ce sont des choses très concrètes qui permettent, avec des outils, d’aider les enfants à gérer leurs émotions et d’avoir une relation plus harmonieuse avec les autres.
Plusieurs personnes travaillent sur ce sujet, de nombreux éducateurs étudient notamment la question du « comment faire pour aider les enfants à acquérir des compétences psychosociales ? ». C’est d’ailleurs selon moi une notion importante à introduire dans les écoles.
Comment sait-on qu’on est en route vers la sagesse ?
Autant être clair : on n’atteint jamais la sagesse. C’est à dire qu’on peut pas dire « je suis arrivé, je suis au sommet de la sagesse ». Celui qui dit ça, il se cassera la figure le lendemain. On peut simplement identifier qu’on a progressé sur ce chemin et comme je vous le disais tout à l’heure en prenant mon exemple, dans ma vie, je me suis rendu compte qu’aujourd’hui, je maîtrisais beaucoup plus mes émotions qu’avant. Je suis moins atteint en profondeur par les choses, j’ai plus de détachement et je suis finalement plus serein tout simplement.
C’est que les choses m’atteignent beaucoup moins, elles me touchent, mais je sais mieux les gérer. Je sais mieux faire avec, je sais mieux accepter la vie comme elle est plutôt de de râler parce que j’aurais voulu qu’elle soit autrement et donc quand je vois en observant le chemin parcouru, je me dis, « j’ai progressé par rapport à avant » mais ça ne veut pas dire du tout que je ne peux pas retomber et que j’ai atteint un point de non-retour. On peut toujours retomber et d’ailleurs comme je le disais, une grande épreuve peux toujours me mettre dans un état d’angoisse ou de peur que je n’ai plus connue depuis 30 ans.
Donc il faut s’observer, simplement, et constater qu’à partir de nos émotions, de nos réactions, nous avons progressé.
La fin de vie rime souvent avec la perte d’autonomie, la maladie, la tristesse….Comment faire en sorte que ce moment qui fait partie intégrante de la vie ne soit plus vécu comme un déclin ? Comment pouvons-nous accompagner ce changement de paradigme ?
Il faut savoir que nous vivons dans une société qui idolâtre un culte de la jeunesse et de la performance. Dans ce contexte, lorsque des personnes âgées déclinent, perdent la mémoire, voient leurs capacités physiques diminuer, elles se sentent déclassées.
En réalité c’est un jugement de valeur sur lequel notre regard n’est pas le bon. Nous devons changer de regard sur ces valeurs et se dire que la performance et la jeunesse sont très bien mais ne sont en aucun cas les plus belles choses de l’être humain. Se dire qu’un être humain âgé est au contraire beau et entièrement réussi. Il l’est également par des qualités de cœur, des qualités d’acceptation, par l’altruisme, par la bienveillance ainsi que par plein d’autres qualités qui sont parfaitement accessibles aux personnes très âgées alors que les qualités de force, de performance etc… ne leur sont plus accessibles.
Il faut donc simplement changer le regard sur les valeurs de nos sociétés et se dire que ces valeurs de vulnérabilité et de faiblesse sont porteuses de choses très belles qui sont justement l’acceptation, le consentement à la vie, la douceur, la patience et de nombreuses autres qualités. Ainsi, on découvre d’autres qualités qu’on n’avait pas cultivé.
Je prends pour exemple mon père : il était extrêmement impatient et colérique tant qu’il était actif. Et puis quand il a eu 90 ans, il n’y arrivait plus car son corps ne suivait plus son esprit. Une fois qu’il a accepté cette situation, il est devenu beaucoup plus doux, beaucoup plus patient. Il y a quelque chose en lui qui a changé et je pense qu’il était plus heureux parce qu’il était dans l’acceptation de sa fragilité.
A l’inverse, je connais d’autres personnes âgées qui ne sont pas dans cette acceptation et qui s’énervent tout le temps, qui sont en colère contre elles-mêmes et qui pestent parce qu’elles ont perdu la mémoire de ce qu’elles ont créé dans les 5 dernières minutes et là je crois que c’est vraiment une question d’acceptation de ces fragilités qui émerge et qui, du coup, nous fait progresser, nous fait grandir. D’une certaine manière, les personnes très âgées redeviennent un peu comme des enfants, elles peuvent redécouvrir la simplicité, la spontanéité, la joie d’être dans le moment présent parce qu’elles oublient plein de choses et qu’elles ne se projettent plus forcément.
Lorsque vous regardez un enfant, il vit dans le présent, et c’est pour ça qu’il est heureux. Parce qu’il se casse la figure, qu’il oubli et qu’il recommence. Il a un souci relationnel, il l’oubli… C’est à dire qu’il vit dans l’instant présent, il est spontané, il est joyeux. Je pense qu’on peut retrouver ces qualités de l’enfance lorsqu’on est dans un âge très avancé et que du coup ça fait des personnes très belles en fait.
Pour terminer cet entretien, pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez fait le choix d’écrire votre dernier livre sur Carl Gustav Jung ?
Jung est un grand psychologue Suisse et j’ai écrit un livre sur lui parce que c’est un explorateur de l’âme humaine extraordinaire. Il lie très bien la psychologie et la spiritualité. C’est le psychologue qui nous apprend qu’on ne peut pas vraiment s’épanouir humainement si on ne donne pas du sens à sa vie et je trouve que son message est à la fois très soutenant et très éclairant.
Merci pour cet échange Frédéric Lenoir. Toute l’équipe d’Amaelles vous remercie d’avoir éclairé son lancement par votre savoir. Nous vous souhaitons une franche réussite avec la sortie de ce nouveau livre !